[mappress mapid= »7″]
Deuxième tentative pour arriver de nuit à La Trinité ! Nous quittons le port en milieu de matinée, en direction de l’ile de Houat. L’idée est d’aller mouiller devant le port, déjeuner, faire le tour de Houat et Hoedic et revenir faire une arrivée de nuit à La Trinité. Ça semble pas mal du tout !
Le vent a pas mal molli depuis la veille. Ce n’est pas la pétole, mais nous avançons tranquillement. Rapidement, l’équipage de Njord fait des manoeuvres de l’homme à la mer. Nous décidons de nous entrainer devant Houat; on ne sait pas combien de temps ça va nous prendre d’aller jusque là-bas.
Chaque soir, nous préparons non seulement le diner, mais également de quoi déjeuner le lendemain, au cas où nous serions en navigation ou au mouillage. Cela nous permet de passer le moins de temps possible dans une cuisine potentiellement peu stable. Alors forcément, ce jeudi, quand nous avons vu qu’à midi nous étions à peine à mi-chemin de Houat, nous avons sorti le repas. Autant la veille, nous avions été plus rapides que prévu, autant aujourd’hui, nous nous trainons lamentablement. Au mouillage, nous gouterons tout juste. Bon, de toute façon, nous avons passé cette journée à grignoter plus ou moins constamment. Trop de bons petits gâteaux. Pas assez d’action. En fait, naviguer dans le petit temps, c’est un peu dangereux pour la santé : ça rend gros.
Heureusement, des fois, il y a des péripéties. Au moment de jeter l’ancre, la profondeur est donnée à cinq mètres. Pour obtenir un mouillage convaincant, nous devons donc lacher une quinzaine de mètres de chaine. Le moteur est mis en route bien avant d’arriver à l’emplacement de notre choix. Le disjoncteur du guindeau (le treuil de l’ancre) est relevé. Au début, tout se passe bien, la chaine descend comme il faut. Heureusement, puisque le loueur nous a indiqué que le système de remontée manuelle de l’ancre est grippé. Tiens, le guindeau s’arrête. Nous avons laché un peu moins de dix mètres de chaine. Les équipiers à l’avant du bateau jouent avec la télécommande pour faire reprendre la manœuvre. Rien ne se passe.
A ce moment-là, nous avons une ancre au fond de l’eau avec trop peu de chaine pour que nous restions sur place. Derrière nous, il y a deux autres voiliers, dont Njord. Nous sommes encore à bonne distance, mais nous savons que nous allons déraper et nous rapprocher d’eux.
Il faut faire vite. Je vérifie le disjoncteur. Il est encore relevé. Nous débranchons et rebranchons la télécommande. Rien ne se passe. Je baisse le disjoncteur puis le remonte. Toujours rien. Le moteur est débrayé et la manette des gaz est enfoncée; peut-être la batterie est-elle à plat. Pas mieux. En deux ou trois minutes, nous nous sommes déjà beaucoup rapprochés de Njord. Il faut remonter le mouillage et repartir. Sauf qu’il n’y a plus de guindeau. Et que le système manuel est grippé. Via la VHF, Didier nous conseille de mettre en place un nœud de bosse avec une haussière passée sur un winch et de remonter la chaine de cette façon. L’un de nous tente tout de même de forcer le système manuel. Par chance, celui-ci semble s’être dégrippé. On mouline, on mouline; la chaine remonte doucement. Enfin, on la voit affleurer. Dans le cockpit, on passe la marche avant. Njord n’était plus qu’à quelques mètres. Ouf !
Nous allons prendre une bouée un peu plus loin, à l’entrée du port de Houat. Après concertation avec l’équipage de Njord, nous décidons de raccourcir notre trajet et de ne faire que le tour de cette première ile. Bien nous en a pris : à peine repartis, le vent tombe définitivement. Nous mettons le moteur en route, ramenons la toile. Au bout de quelques minutes d’une tenue de barre ennuyeuse, je mets en route le pilote automatique. Très pratique.
Nous allons naviguer ainsi durant quelques heures, le temps de revenir vers La Trinité. La mer étant d’huile, le diner peut être préparé facilement. Je me porte volontaire pour rester dans le cockpit, à l’abri derrière la capote, pilote automatique enclenché et GPS tourné vers moi, afin d’assurer la veille. Je dine au grand air tandis que les autres se réfugient en bas, où la chaleur de la cuisson est encore bien présente. Le soleil commence à descendre. Le ciel prend des couleurs. Un petit vent se lève, ride la surface de l’eau. Njord ne tarde pas à sortir ses voiles. J’attends la fin du diner.
Là, tandis que certains font la vaisselle, je décide de m’offrir un petit plaisir : ce n’est pas tous les jours que j’ai l’occasion de manœuvrer un 40 pieds en solitaire. C’est parti : le génois est déroulé, la grand-voile réglée (elle avait été conservée hissée pour la stabilité du navire). Le vent vient du nord, là où nous nous rendons. Il faut louvoyer. En solitaire, il faut un peu d’organisation. Au près, j’enclenche le pilote automatique et prépare les winchs pour le virement de bord. Je reprends le contrôle le temps de virer. Le génois se met à contre. La grand-voile passe. Sûr de mon cap, je réenclenche le pilote, libère le génois d’un côté et le borde de l’autre. En moins de deux minutes, je suis de retour à la barre. J’enchaine les louvoiements au fur et à mesure de notre approche du chenal d’entrée du port. Petite satisfaction personnelle.
Enfin, le soleil est couché. Reste une lumière grise, suffisante pour que les phares restent éteints. Ce n’est qu’entrés dans le chenal que tout commence à s’illuminer. Ici, il semble que des économies ont été faites : seule une bouée latérale sur deux est éclairée. Pourquoi pas, nous fait nous dire notre fibre écolo. Parce que ne pas éclairer celle qui marque une courbe décisive est un peu ballot, nous répondra la facette de notre personnalité qui n’a pas envie d’aller s’écraser sur des rochers. Ce soir, pas d’accueil de la capitainerie. Ayant téléphoné un peu plus tôt, nous avons nos instructions. Nous progressons lentement dans le chenal. Même en ayant quitté le port le matin même et en ayant repéré notre destination sur le plan du port, le cheminement reste délicat. A la barre, les quinze premiers mètres dans le champ de vision sont remplis par le bateau. Voir ce qu’il y a au-delà est délicat. Je crois repérer à un moment le trimaran vu la veille en bout de ponton et me dirige vers la droite. Raté ! C’est un modèle proche et celui-ci est mouillé au milieu de la rivière. Il fallait partir sur la gauche. Je corrige vite. On ne voit vraiment pas grand-chose. Ce sont les équipiers à la proue qui doivent me guider.
Au fur et à mesure de notre remontée de la rivière, le courant se renforce. A petite vitesse à cause de la faible visibilité, le bateau dérape dans les courbes. Enfin, nous arrivons en vue du ponton qui nous a été désigné. Nous allons devoir nous mettre à couple. Ç’aurait été trop facile. Je choisis le voilier en bout de panne, une cible assez grande.
Rétrospectivement, je fais l’erreur de vouloir me mettre dans le même sens que lui, proue vers l’aval. Il aurait été plus simple de manœuvrer le bateau en restant face au courant. De la même manière, le premier jour, personne n’a fait de cas du propulseur d’étrave : « Oh, on ne s’en servira de toute façon pas ». Seconde erreur. En fait, il aurait fallu que nous le testions dans un chenal, afin de mesurer son impact sur la trajectoire du bateau, de jauger la sensibilité de la commande. Je pense qu’avec le nez du voilier face au courant et une petite impulsion pour nous rapprocher du bateau auquel nous voulions nous amarrer (ou nous en éloigner un peu le cas échéant), tout aurait été beaucoup plus simple.
Toujours est-il qu’après de longues minutes de manœuvres sous un stress certain, nous voilà solidement amarrés. Njord vient se coller à nous. Les moteurs sont arrêtés, les équipages respirent. Il est 23h. Nous sommes partis il y a plus de douze heures. J’ai passé huit heures à la barre (même si le pilote s’est chargé de maintenir le cap durant trois heures). Nous avons mérité une bonne nuit de sommeil.